Florence Frachon -« L’inconscient à la lumière des neurosciences »

Tel est le titre attractif d’une émission de radio sur une antenne très fréquentée, France Inter, diffusée le 13 février dernier. Selon Claire Sergent, maître de conférences en neurosciences cognitives à l’Université Paris Descartes, spécialiste de la conscience chez l’humain, « tout a changé depuis Freud, l’inconscient analysé par les neurosciences a progressé ». Remarquons la double imposture : l’inconscient a perdu son statut de concept, il est devenu un être doué d’une capacité de progrès. De plus, il change de champ épistémologique, il ne relève plus de la psychanalyse, mais appartient au domaine des neurosciences. Ce qui est annoncé comme progrès réside dans l’aptitude des neurosciences à rendre plus compréhensible « tout ce que notre cerveau faisait de façon non consciente ».
Il existe toujours un « inconscient analytique », dont la spécificité est de « tirer les ficelles de l’ombre », et dont il faut se méfier en tant que produit des pulsions à refouler. Mais, grâce aux neurosciences, une nouvelle entité est créée qui rassemble tout ce qui est de l’ordre du non-conscient et consiste en « routes automatiques » n’ayant pas besoin de passer par le processus de conscience. La nouveauté réside dans ce présupposé de principe « qu’il n’y a pas d’opposition entre la conscience et l’inconscient ». Pour asseoir leur démarche, qui relève plus d’une idéologie que d’une démonstration logique, les auteurs jouent sur deux tableaux : d’une part, reconnaître l’existence de l’inconscient freudien, d’autre part utiliser le même terme d’inconscient pour asseoir leur croyance en une tout autre entité, qui n’en a plus la même structure. Cette torsion appliquée à ce concept constitue une erreur épistémologique telle que l’absence de rigueur logique, qui conduit à une position contradictoire. Bien que conçu comme « un maillage de pensées, de mots […] connectés les uns aux autres », et reconnu comme « une vraie logique », ce nouvel inconscient est ravalé à un assemblage interne capable de réagir par rapport à ce qui se passe à l’extérieur, et ne doit plus être considéré comme « l’ennemi de la conscience, mais comme un “ assistant essentiel ” ».
Selon cette vision angélique du psychisme, c’est tout le socle sur lequel repose la théorie psychanalytique qui s’effondre, à savoir la division subjective. Selon le discours neuroscientifique, le conscient et le non-conscient sont soumis à des processus de traitement de l’information par le cerveau « sans qu’on puisse agréger ça dans une sorte d’être invisible ». Là résiderait le triomphe de l’humain : plus rien n’échappe au regard, c’est l’ère du tout scopique. La marque et la garantie du scientifique se trouvent dans le regard porté sur un organe, le cerveau. La distinction conscient/inconscient se trouve invalidée du fait qu’« un même neurone peut être impliqué tantôt dans un processus conscient, tantôt dans un processus inconscient ». Selon les neurosciences, la part de notre psyché qui échappe à notre contrôle, ce sont nos émotions, exceptées certaines personnes qui, grâce à leur « intelligence émotionnelle », ont gardé une faculté de prendre conscience de leurs émotions. C’est une conception simpliste de l’émotion, qui se signale effectivement à notre conscience, mais échappe à notre contrôle.
Les questions qui se posent aux chercheurs et adeptes du domaine neuro-scientifique, c’est entre autres de savoir s’il existe une différence entre l’intuition et l’inconscient. De même, ils s’interrogent sur la différence de localisation entre l’inconscient et le subconscient, sans aller jusqu’à assumer les conséquences qu’induit cette supposée différence : l’inconscient reste, pour eux, une notion vide, non affectée par ce que Lacan a appelé « subversion du sujet » – expression selon laquelle le sujet n’est pas maître chez lui, est dépossédé de son bien le plus précieux, son identité, et sa conscience de soi. L’inconscient est une sorte de fourre-tout, tantôt notion vide conduisant l’information de façon automatique, tantôt part innée de notre organisme, tantôt instance susceptible d’apprentissage. Dans cette perspective, la réponse se trouverait dans la plasticité du cerveau qui rend celui-ci malléable et ouvert à l’apprentissage. Les sciences du cerveau, en faisant de l’inconscient une zone émotionnelle revendiquée comme « un domaine très vaste de processus de traitement de l’information », dénaturent ce qu’est l’inconscient freudien et entretiennent une confusion épistémique radicale, le sujet – à savoir « non pas ce que l’on pense, mais le fait de penser », selon le mot d’Alexandre Stevens – restant le grand absent de cet inconscient neuro-scientifique.