Céline Aulit – Au suivant !

Au suivant ! Céline Aulit
La journaliste Judith Duportail, avec son livre L’amour sous algorithme, à la fois enquête journalistique et récit, nous dévoile les coulisses de Tinder, leader des applications de rencontre, et nous invite à considérer l’amoureux d’aujourd’hui.
Tinder promet la rencontre, sur base de photos qui défilent et que l’utilisateur peut swipper vers la droite si la photo lui plaît. Il suffit que l’autre personne en fasse de même et c’est le match ! Les deux partenaires peuvent commencer à se parler.
Ce que Judith Duportail dévoile tout au long de son enquête, c’est l’immense supercherie qui se cache derrière ce soi-disant progressisme. En effet, chaque utilisateur est classé selon une note de désirabilité qu’il ignore. Ce chiffre calculé sur base de différents algorithmes, tels que l’intelligence des réponses, le niveau de vocabulaire utilisé ou encore le niveau social déterminera les photos auxquelles l’utilisateur aura accès puisque selon son profil, il sera rangé dans une catégorie et se verra privé de la liberté de rencontrer des partenaires hors de sa catégorie.
Exit donc le singulier de chaque sujet qui fait le sel d’une rencontre ! Plus aucune place n’est réservée à la contingence qui permet à deux personnes n’ayant a priori rien en commun que leurs symptômes fassent couple. En tentant de nous faire croire qu’il y a « toujours mieux en rayon » et qu’il est si facile de tomber amoureux, Tinder donne l’illusion que l’on peut éviter le non-rapport sexuel.
La demande d’amour au lieu « d’être un embrayeur entre demande et désir », se réduit à une demande d’un objet de satisfaction. Au suivant ! « Or, si l’amour bascule tout entier du côté de la demande, il se mutile de ce qui en lui est le plus précieux » c’est-à-dire, le rien, un des objets moteur du désir.
Les textes de Fouzia Taouzari et d’Amandine Mazurenko que vous trouverez dans cette fournée d’a-kephalos sont deux autres exemples criants de cette tentative d’éradiquer le réel, là où la psychanalyse s’en oriente.
La folie humaine, comme le reprend Gabriela Medin du peintre Jérôme Bosch, pousse à localiser la folie dans le cerveau pour soutenir l’illusion de pouvoir l’éliminer. C’est l’objet de L’anatomie de la joie spectacle musical pétillant et drôle qui met en scène une neuroscientifique morose s’évertuant à démontrer l’existence du gène de la joie. C’est maintenant au théâtre de l’Essaïon à Paris !
- Duportail J. L’amour sous algorithme, Paris, Goutte d’or, 2019.
- Miller J.-A. « L’orientation lacanienne. De la nature des semblants », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris viii, cours du 1/04/1992, inédit.
- Ibid.
- Du 08 avril au 18 juin 2019, au théâtre de l’Essaïon, Paris