Sandra Pax-Cisternas et Patrick Pax – Intelligence artificielle, mythes et réalité

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À l’ère du numérique et de l’informatique, nous entendons de plus en plus parler d’intelligence artificielle. Parfois, elle peut être assimilée au fonctionnent du cerveau humain, comme quand, par exemple, nous entendons parler de réseaux neuronaux.

Mais qu’en est-il ? Est-elle vraiment construite sur la base du fonctionnement du cerveau humain ? Quelles sont les confusions ? Quels sont les mythes ?

Un court échange avec Patrick Pax, ingénieur en systèmes de communication, président des alumni de l’EPFL [1] à Genève, ami du Champ freudien et travaillant depuis de nombreuses années dans le développement et la commercialisation de nouvelles technologies dans le domaine du numérique, nous apporte des précisions techniques ainsi qu’une brève réflexion économique et politique, voire éthique, sur les apports et usages de l’intelligence artificielle.

« Un point de vue différent sur l’intelligence artificielle »

Actuellement, on entend par intelligence artificielle toutes les méthodologies et technologies mises en œuvre pour créer ou reproduire une forme d’intelligence, l’intelligence humaine étant le repère, la cible ou l’idéal à atteindre, voire à dépasser.

Le concept de l’intelligence artificielle n’est pas du tout récent. Depuis la création des tout premiers ordinateurs qui ont permis de faire des calculs arithmétiques basiques, les scientifiques se sont enthousiasmés à faire des recherches pour reproduire une forme d’intelligence humaine.

Cependant, ces initiatives sont passées par des hauts et des bas au cours des cinquante dernières années. Dans les années quatre-vingt, par exemple, ont surgi nombre d’initiatives autour des réseaux neuronaux qui paraissaient très prometteuses, mais n’ont pas donné les résultats escomptés.

Ensuite, on n’en a plus entendu parler pendant plus d’une décennie, en tout cas pas en dehors des cercles scientifiques. Pendant ce temps, les réseaux de communications, tels qu’internet, ont pris un essor sans précédent. Ces réseaux ont permis de collecter et d’acheminer des quantités énormes de données à l’échelle mondiale, et de les stocker dans des centres de données gigantesques. C’est ce qu’on appelle le cloud.

Les géants de l’internet, tels que Google, Amazon ou Apple ont su tirer profit de ces masses de données accumulées, les exploitant pour en tirer des informations utiles. À partir de ces données, il a également été possible de créer des assistants personnels, tel que Siri, qui interagissent avec l’humain. Pour répondre aux questions, ces outils fouillent des millions de scénarios similaires pour trouver la réponse la plus adaptée au contexte. Est-ce une forme d’intelligence ? « À mon avis non », avance P. Pax, puisque la réponse donnée par ces assistants est basée sur des algorithmes mathématiques et des masses de données énormes. C’est comme si on considérait que l’acte de rechercher une information dans une encyclopédie était un acte « intelligent ».

Ceci dit, les grands acteurs de l’internet dominent actuellement le monde économique sur base de l’exploitation des données. Ils emploient des méthodologies et technologies appartenant au rang de l’intelligence artificielle pour se créer un avantage concurrentiel. Ils y arrivent incontestablement très bien.

Dès lors, l’intelligence artificielle est revenue au premier plan. Pour qu’une entreprise quelconque reste compétitive, elle est amenée à investir dans des outils centrés sur celle-ci. Ainsi, une société minière doit pouvoir prédire les tendances du marché en vue d’optimiser le calibrage de sa production. Ou bien une entreprise pharmaceutique est amenée à prédire les épidémies, pour cadencer au mieux la production de nouveaux médicaments.

Ce besoin de rester compétitif déclenche actuellement une vague d’investissements conséquents dans les outils autour de l’intelligence artificielle. Ces investissements stimulent aussi la recherche au niveau mondial, souvent appuyée par des programmes gouvernementaux. Au vu des moyens actuellement mis en œuvre dans la recherche, il y aura certainement des percées importantes dans les prochaines années.

Mais la question à se poser est de se demander si l’humain sera en mesure d’inventer des technologies qui seront capables de reproduire l’intelligence humaine, c’est-à-dire tenant compte de l’intuition, la créativité, l’inconscient ou le côté sentimental qui contribuent tous à notre intelligence, mais qui semblent être oubliés par les recherches, celles qui se concentrent plutôt sur le côté analytique – dans le sens mathématique du terme – de l’humain.

Par ailleurs, dit encore P. Pax, il semble que toutes les tentatives à reproduire le fonctionnement du cerveau humain ont échoué à ce jour. Comment pourrait-on réussir à imiter ce qu’on ne connait pas, puisque le fonctionnement intime du cerveau humain reste à ce jour une énigme ?

L’intelligence artificielle assimilable à l’intelligence humaine reste aujourd’hui un mythe qui est, par exemple, exploité par l’industrie cinématographique ou par les industriels pour créer un buzz et faire parler de soi.

Sans reproduire l’intelligence humaine, les outils existants sont pourtant déjà suffisamment sophistiqués pour induire des changements drastiques dans le fonctionnement de la société, que ce soit par l’automatisation accrue des processus de fabrication, par l’emploi de robots combattants ou de drones, ou encore par l’exploitation des données à de fins géopolitiques (voir le scandale récent autour de Cambridge Analytica). Les individus ou sociétés qui maîtrisent ces outils seront en position de dominer les autres. Donc, nul besoin d’attendre l’arrivée d’un humanoïde pour changer fondamentalement ou mettre en danger notre société ou même l’humanité. Le mouvement est déjà en marche, et il est temps que nous en prenions collectivement conscience afin de mettre en place le cadre – qu’il soit éthique, légal ou autre – qui permettra à la société globale de bénéficier des apports positifs de l’intelligence artificielle plutôt que d’en devenir la victime.

[1] EPFL : École Polytechnique Fédérale de Lausanne

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