Luisella Mambrini – Pulsion et cerveau du côté du parlêtre

Pour Antonio Damasio qui, dans le domaine des neurosciences, est le chercheur qui se rapproche le plus du champ de la pulsion, le cerveau est capable de connaitre la pulsion ; car il possède une série de circuits de neurones qui traduisent la perception en émotion, et qui photographient à chaque instant l’état somatique comparable à la source de la pulsion.
Pour ancrer encore davantage la pulsion au corps, A. Damasio élabore la théorie des « marqueurs somatiques » [1], qui, pour lui, sont des sentiments générés à partir d’émotions qui ont été reliées, par l’apprentissage, à l’idée que certains scénarios produisent des résultats prévisibles. Ainsi les marqueurs somatiques, sorte de mémoire du corps, aident au procès d’évaluation des actions en soulignant le résultat négatif à quoi peut conduire une certaine action, protégeant ainsi les choix qui conduiraient à une perte. Mais, soutient A. Damasio, pour que les marqueurs soient ainsi « adaptatifs » [2], il faut « un cerveau et une culture normaux » [3] ; l’anomalie des connexions ou des signaux chimiques cérébraux ou une « culture malade » [4] compromettent le fonctionnement correct du marqueur. La pulsion apparaît donc un élément dans un cycle de feedback qui contribue à maintenir l’homéostasie de l’organisme.
Mais le cerveau peut-il vraiment connaître la pulsion ? Il faut faire une distinction essentielle : le parlêtre est le sujet avec le corps et ce corps n’a rien à voir avec l’organisme comme le suppose la biologie. Il y a corps lorsqu’un organisme vivant incorpore l’organe du langage ; en effet, c’est ce dernier qui, trouant l’organisme vivant, découpe les zones érogènes et produit le corps.
Entre signifiant et corps, le rapport qui s’instaure est négatif, comme l’indique le terme même d’« incorporel », une notion que Lacan reprend des stoïciens, qui, avec ce mot, ont « su témoigner […] comment le symbolique concerne le corps » [5].
Le langage mortifie le corps, mais en même temps il lui offre un incorporel qui n’a rien à voir avec la matérialité de l’organisme. Cet incorporel n’est donc pas passible d’être photographié ni d’être ausculté ni d’être soumis à une résonance magnétique.
En outre, pour le fait de naître au langage, la dimension instinctuelle du corps est abolie pour toujours tandis que l’activité pulsionnelle force la limite du principe de plaisir, se présentant ainsi comme anti-vitale et marquée par l’excès. Rien à voir avec la théorie des marqueurs somatiques qui aspirent à l’homéostasie et à la survie de l’organisme. On pourrait dire, avec A. Damasio, que la pulsion est de par elle-même un marqueur somatique non adaptatif.
Traduction par Brigitte Laffay
[1] Damasio A.R., L’errore di Cartesio, Adelphi Milano, 1995, p. 251.
[2] Ibid., p. 251.
[3] Ibid., p. 251.
[4] Ibid., p. 252.
[5] Lacan J., Radiofonia in Altri Scritti, Eiinaudi Torino, 2013, p. 405.
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