Claire Piette – La pédagogie aux mains du cognitivisme et des neurosciences : un progrès pour la vie ou un nouveau masque de la pulsion de mort ?

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Asphyxie de l’humanité

Grâce à Jean Michel Blanquer, Ministre de l’éducation, Stanislas Dehaene est à la tête du Conseil supérieur de l’éducation nationale : les processus d’apprentissages ne détiendront plus aucun secret puisque l’imagerie médicale nous révélera la transparence des circuits neuronaux dans le cerveau.Déjà un large échantillon d’enfants est invité dans des laboratoires, habillés en planétarium, à entrer non pas dans la fusée qui les mènerait à fendre l’espace mais bien dans la capsule de l’IRM [1].

Dehaene, auteur notoire [2], va pouvoir auprès de ce conseil soutenir l’approche matérialiste où la « permanence du sentiment d’exister comme “je” n’exige aucune autre explication que la physico-chimie du cerveau dont ce serait le “mode par défaut” des informaticiens » [3].

Un nouveau pas donc vers l’extension de l’universel !

Stanislas Morel [4] tempère cette attractivité pour les neurosciences considérées par certains comme étant la solution pour parer à tous les problèmes sociaux que l’école rencontre. Il note encore que la « légitimité scientifique des solutions qu’elles proposent, comme celles préconisées par Stanislas Dehaene pour l’apprentissage de la lecture, sont souvent bien connues des pédagogues » [5]. Par ailleurs, la promotion des neurosciences, souligne-t-il avec justesse, « illustre aussi la dépolitisation actuelle, commune aux différents gouvernements, de la question scolaire » [6].

Brassens n’était pas non plus dupe dans « Maîtresse d’école ». Cette dernière avait des méthodes avancées, nous dit-il, en promettant un baiser au premier de la classe : l’effet fut que « les cancres, les lève-nez, les crétins crasseux » [7] disparurent et tous furent premier de classe. Malgré ce palmarès, cette institutrice ne fit pas long feu puisqu’il termine sa chanson par le renvoi de cette dernière.

Cela n’est effectivement pas sans écho à ce que Freud ramène du transfert à l’école qui «ne doit pas revendiquer pour son compte l’inexorabilité de la vie, elle ne doit pas vouloir être plus qu’un jeu de vie » [8].

Éric Laurent souligne ce que Lacan pouvait dire concernant le discours de la science tendant à l’universel « l’analyse n’est pas une science, c’est un discours sans lequel le discours dit de la science n’est pas tenable par l’être qui y accède depuis plus de trois siècles ; d’ailleurs le discours de la science a des conséquences irrespirables pour ce qu’on appelle l’humanité » [9].

Il s’agit donc de ne pas céder aux chants des neurosciences qui s’illusionnent d’abraser les passions humaines – toujours à l’œuvre même à notre insu – dans le champ scolaire mais de continuer à faire entendre que la psychanalyse freudienne et l’orientation lacanienne sont de vraies boussoles pour contrer la pulsion de mort.

[1] http://www.liberation.fr/photographie/2018/02/03/neurosciences-au-centre-cyceron-le-cerveau-des-enfants-a-la-loupe_1627132

[2] Dehaene S., Le Code de la conscience, Paris, éditions Odile Jacob, 2014.

[3] http://www.liberation.fr/france/2018/01/31/grand-flou-autour-du-conseil-scientifique-de-l-education_1626561

[4] Morel S.La médicalisation de l’échec scolaire, Paris, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », 2014, p. 210.

[5]http://www.liberation.fr/debats/2018/01/19/stanislas-morel-les-neurosciences-illustrent-la-depolitisation-actuelle-de-la-question-scolaire_1623801

[6] Ibid.

[7] https://play.google.com/music/preview/Ty6r75jgo6oyjdtvdzguwan57hi?lyrics=1&utm_source=google&utm_medium=search&utm_cam

[8] Freud S., « Pour introduire la discussion sur le suicide », Résultats, idées, problèmes, t. 1, Paris, puf, 1984, p. 132.

[9] Laurent E., « Quelques lignes d’avenir des impasses de notre civilisation », Actes du colloque « L’insu des nouvelles gouvernances et les issues du désir », acf – Bureau de Rennes, consultable en ligne ici.

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